samedi 8 avril 2017

Il n'y a pas d'islam modéré, il y a des musulmans réduits au silence.

                      sur le site L'ORIENT LE JOUR

« Elles m’ont tout volé, mon corps, mon enfant, jusqu’à ma liberté de rêver »

IRAK
Alya a été torturée par la Hisba, police des mœurs féminine de l'État islamique. Elle raconte son traumatisme.
05/04/2017
Le visage fin, encadré de longs cheveux ébène, Alya*, 32 ans, relève la tête pour découvrir des yeux d'un noir profond. Ils portent la douleur d'une femme traumatisée par la folie de l'homme. « Si je ferme les yeux, j'ai ces images qui me reviennent, c'est insupportable », murmure Alya dans un souffle.
En mars 2016, Alya et son mari, Younès*, arpentent en silence les rues de Mossoul-Est, sous le joug de l'État islamique depuis juin 2014. Il ne faut pas qu'un autre homme puisse entendre la voix de Alya, c'est interdit. Interdit également de se maquiller, de découvrir un centimètre de chair, interdit de vivre. Alya et son mari survivent. Ce jour-là, la jeune femme lâche un instant son mari du regard et se tourne vers la façade d'un bâtiment en ruine. « Je me suis perdue dans mes pensées, c'était encore la seule liberté que j'avais, celle d'imaginer les choses, puisque là-bas on ne nous disait rien, on ne nous informait pas », explique-t-elle.
Elle souffle alors une phrase à Younès, qu'elle croit être à ses côtés. Il s'agit en fait d'un passant, qui s'indigne, « il m'a qualifiée de prostituée, a commencé à crier et à appeler les soldats ». À ce souvenir, Alya frémit, « je savais ce qui m'attendait, les hommes n'ont pas le droit d'entendre ma voix ». Les soldats de l'EI encerclent la jeune sunnite, prise au piège de ces hommes et du silence qu'on lui impose. Elle ne peut s'expliquer, au risque d'aggraver davantage son cas.


Younès, témoin impuissant de la scène, tente une approche, mais est rapidement stoppé par la garde. L'homme serre les poings, « ils m'ont interdit de m'expliquer à la place de ma femme, j'avais envie de crier, mais je ne pouvais rien faire ». Les soldats appellent des membres de la Hisba, police des mœurs féminine constituée de femmes ayant prêté allégeance à l'EI. Alya comprend qu'elle n'en sortira pas indemne, « ce sont des monstres, les pires de tous ». L'une des femmes saisit Alya par le bras, si fort qu'elle en gardera des contusions des semaines durant, et la traîne jusqu'à l'échoppe la plus proche. « Elles vous font croire qu'elles vous évitent une humiliation publique, mais elles veulent juste éviter de retenir leurs coups », martèle Alya, interviewée par Skype.
À genoux sur le sol, la jeune femme attend son sort. Sous son niqab et sa sira, voile fin qui permet de voir sans être vue, Alya laisse échapper ses larmes : « J'étais morte de peur, j'avais envie de perdre connaissance, d'ouvrir les yeux après le calvaire. » Encadrée de deux femmes, une troisième entre dans l'échoppe, un objet métallique dans les mains. Alya plisse le front, « c'était une sorte de piège à loup, j'ai hurlé ». On l'insulte, on la gifle pour la faire taire.
Alors que deux femmes la maintiennent, la troisième dévoile la cuisse droite de Alya, agrippe une large bande de chair au moyen de la mâchoire métallique et la lui arrache. La plaie n'est pas assez profonde pour atteindre l'artère et la tuer, mais bien assez pour que la douleur éteigne la jeune femme. Younès, maintenu à l'extérieur de l'échoppe par la garde masculine, entend le hurlement de sa femme, puis le silence, interminable. Le sang de Alya se répand sur le sol, quand s'échappent les larmes de Younès, intarissables.


« J'étais fou, fou de rage, fou de douleur », lance-t-il, mâchoire serrée. Alya inconsciente, la Hisba continue la séance de torture, mordant à plusieurs reprises la jeune femme, à l'épaule gauche cette fois. « J'ai découvert ça lorsque j'ai repris connaissance, par la suite », explique-t-elle. Quand Alya ouvre les yeux, l'une des femmes lui explique que tout cela n'est qu'une « simple leçon, pour le bien de tous ». « Je n'ai pas su réagir, et puis, il n'y avait rien à dire, ce sont des animaux, elles n'écoutent pas, elles mordent », murmure-t-elle. Lorsque la jeune femme évoque cette épreuve, les larmes coulent sur ses joues, sa voix tremble. Son mari lui serre la main, ne la quitte plus du regard. « J'ai cru mourir, j'ai voulu mourir, parfois je le veux encore. »
De retour chez eux quelques heures plus tard, la jeune femme souffre le martyre. Elle enrage, pleure, frappe les murs, elle craque. Alya marque une pause, reprend son souffle. « Je ne comprenais pas, je ne comprends toujours pas comment des femmes peuvent infliger un tel supplice à d'autres femmes. Elles m'ont détruite. » La blessure infligée à sa cuisse mettra un mois et demi à se refermer, quand son épaule s'infectera à plusieurs reprises, avant de laisser une grossière cicatrice encore boursouflée, sur quinze centimètres.
Ce traumatisme, Alya le revit encore et encore, chaque matin : « Quand je me lève, la première chose que je vois dans le miroir, ce sont ces cicatrices qui ne me quitteront jamais. C'est comme si la Hisba était là, tous les jours, pour me rappeler que j'ai eu le malheur de me perdre en rêverie pendant quelques secondes. » Enceinte de cinq mois au moment des faits, Alya perd son enfant quelques jours plus tard. « Il y a une certaine logique, je crois que mon corps a compris qu'aucun enfant ne devrait grandir dans un monde pareil. »
Mossoul-Est est libérée, Alya est désormais réfugiée à Erbil, mais la jeune femme reste, en quelque sorte, prisonnière de l'EI. « Elles m'ont tout volé, mon corps, mon enfant, jusqu'à ma liberté de rêver. Je suis détruite, jamais je n'oublierai. »
*Les prénoms ont été modifiés.


Pour mémoire
Marginalisées parce que violées, la difficile réinsertion des ex-esclaves de l'EI

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